Le passé prestigieux de Chinon
En raison de sa situation stratégique, Chinon a des origines très anciennes. Cet éperon rocheux, qui domine la Vienne, a toujours servi de bouclier face aux envahisseurs. Dès l’époque gallo-romaine, le site est fortifié. Une petite agglomération se développe au pied du coteau, ainsi que l’attestent les nombreux vestiges et remplois romains mis au jour. On ne peut que souligner l’exceptionnelle continuité de l’occupation de la ville et de la forteresse au cours des siècles.
Durant tout le Moyen Age, Chinon ne cesse de prospérer. La forteresse est le théâtre d’évènements historiques de première importance, devient le lieu de résidence des rois Plantagenêt puis des rois de France. Au début du 14e siècle, elle sert de lieu de détention pour les Templiers, victimes de la rivalité entre le pape Boniface VIII et le roi Philippe IV le Bel, qui veut affermir le pouvoir royal face à la papauté. Au siècle suivant, la forteresse sert de lieu de réception de Jeanne d’Arc par Charles VII, une des pages les plus glorieuses de l’histoire de Chinon et qui a rendu la petite cité célèbre.
Sous Charles VII, la ville devient un centre de production et d’échanges, mais à la fin du 15e siècle, elle est abandonnée par les rois, qui lui préfèrent Amboise ou Blois. Certes, Chinon reste un centre administratif et judiciaire important, doté d’un bailliage, d’une élection, d’un grenier à sel et d’une maîtrise des Eaux et Forêts. Mais la forteresse est attaquée plusieurs fois durant les guerres de religion. Le massacre de Wassy (1ᵉʳ mars 1562), au cours duquel une cinquantaine de protestants sont tués par les troupes du duc de Guise, est suivi de dures représailles. Les édifices religieux de Chinon sont pillés, la forteresse est assiégée…
Huit guerres de religion se succèdent jusqu’à l’Edit de Nantes en 1598. La forteresse quant à elle est régulièrement attaquée par les protestants. A chaque nouveau conflit, les habitants sont obligés de fournir des vivres et des munitions aux troupes chargées de la protéger des ennemis. Une partie des soldats doit être logée en ville, chez les habitants, ce qui attise la rancœur des catholiques. Bientôt, ils accusent les protestants d’être responsables de cette lourde corvée. Suite à ces assauts répétés, la forteresse est en très mauvais état. Elle devient une véritable charge pour la population et certains habitants eux-mêmes demandent sa destruction, qui est refusée par Catherine de Médicis.
Pourquoi Richelieu (1585-1642) s’intéresse-t-il à la forteresse de Chinon ?
La forteresse joue encore un rôle important au début du 17e siècle, au moment de la guerre des princes qui éclate en 1614. Menés par Condé, ces derniers sont très mécontents du gouvernement mis en place par Marie de Médicis, régente du royaume depuis la mort d’Henri IV. Ils détestent son conseiller italien, Concino Concini. La reine mère pratique par ailleurs une politique pro-espagnole et les protestants sont très inquiets pour les privilèges qui leur ont été concédés par Henri IV. Condé veut soulever les protestants contre Marie de Médicis.
Un accord est enfin trouvé avec la paix de Loudun, au mois de mai 1616 : Condé devient le chef du Conseil, il obtient de lourdes compensations financières, le gouvernement du Berry, ainsi que Chinon. Mais Richelieu, qui se méfie de lui, le fait arrêter au mois de septembre. Le 24 novembre suivant, Marie de Médicis nomme Richelieu secrétaire d’état à la guerre et aux affaires étrangères. Le futur ministre de Louis XIII se méfie aussi du parti protestant qu’il estime dangereux, car il tient des assemblées politiques et possède des forteresses qui peuvent être des repères pour d’éventuels rebelles. Il craint que Chinon ne devienne un lieu de résistance militaire pour les réformés et on comprend mieux les raisons pour lesquelles il a voulu récupérer cette place forte… Richelieu intègre ensuite Chinon à son duché-pairie en 1631, mais la petite cité reste dans le domaine royal et conserve son bailliage.
Richelieu a été accusé à tort d’avoir pris les pierres du logis royal pour construire sa ville nouvelle. Ce sont plutôt les guerres de religion qui sont responsables de l’état de délabrement de la forteresse. Mais l’illustration de Gaignières (1699) porte à confusion : la légende mentionne en effet que c’est « le duc de Richelieu » – sans préciser lequel -, qui a ordonné la destruction de la grande salle du logis royal. En réalité il est question d’Armand Jean de Vignerot (1629-1715), le deuxième duc de Richelieu…
Une autre raison peut être à l’origine de légendes au sujet du cardinal de Richelieu : les Chinonais, en majorité catholiques, attendaient beaucoup de cet homme puissant, à la fois cardinal et ministre de Louis XIII à partir de 1624. Mais en 1629 Richelieu se fait beaucoup d’ennemis… En effet, par la paix d’Alès, il maintient la liberté de culte pour les protestants. La France passe par ailleurs des alliances avec les princes protestants de l’Empire, en vue de contrecarrer la volonté d’hégémonie de la Maison de Habsbourg. La politique de Richelieu est incomprise et de nombreux catholiques lui tournent alors le dos.
La fondation de la ville nouvelle et les prérogatives dont elle jouit, au détriment de Chinon, a suscité par ailleurs l’animosité de certains Chinonais. Richelieu a voulu en effet faire de sa ville un lieu de pouvoir, qui montrait la réussite du gouvernement associé du roi et de son ministre. Il y a déplacé le grenier à sel de Loudun pour la perception de la gabelle, l’élection de Mirebeau pour la perception de la taille. Elle était munie d’un palais de justice. Et en 1634, 18 paroisses furent enlevées à l’élection de Chinon pour créer celle de Richelieu. Il en a résulté des pertes financières sensibles pour la petite cité, ainsi qu’une baisse d’activité administrative et judiciaire.
Enfin, la ville de Richelieu est devenue aussi un pôle religieux majeur dans la région, qui rivalisait avec Chinon. Son imposante église rappelait les églises italiennes les plus prestigieuses. Vincent de Paul vint y fonder une mission en 1638, à la demande du cardinal. Sept prêtres lazaristes étaient chargés de raviver la foi du peuple et de regagner du terrain sur les protestants. La mission de Richelieu rayonnait dans toute la région.
Les successeurs du cardinal de Richelieu
En 1652, Armand-Jean de Vignerot du Plessis (1629-1715), petit-neveu du Cardinal, hérite du domaine de Chinon. Très dépensier, il est toujours à court d’argent et n’a pas les moyens de l’entretenir… Il émet même des prétentions sur les maisons et terrains attenants aux murailles, prétendant qu’ils lui appartiennent. La grande salle du château, où Charles VII a reçu Jeanne d’Arc, semble avoir été en partie démantelée à cette époque.
Le troisième duc de Richelieu, Louis François Armand de Vignerot (1696-1788), fait son entrée à Chinon en 1717. Des festivités sont organisées en son honneur et la ville semble renouer avec son faste d’antan. Le troisième duc est un homme brillant. A Richelieu, c’est lui qui met le château à la mode du 18e siècle. Il fait appel aux plus grands maîtres de son temps et y transpose les magnificences de Versailles. Il fait par ailleurs une brillante carrière militaire. Après s’être distingué à la bataille de Fontenoy, il est nommé maréchal en 1748. Les échevins de Chinon lui demandent de leur offrir son portrait, pour l’exposer à la Maison de ville. C’est à l’époque du maréchal de Richelieu que la petite cité commence à se moderniser.
Mais une fois encore les relations avec le troisième duc ne sont pas exemptes de tensions, car il veut préserver les droits de sa ville de Richelieu… En 1725, il est préoccupé par le projet de démembrement des paroisses du grenier à sel de Richelieu par le bureau des gabelles, en vue de créer deux nouveaux greniers à Loudun et à Mirebeau. Finalement, c’est celui de Chinon qui est amputé de 14 paroisses… Les relations des Chinonais et du maréchal deviennent même conflictuelles, lorsqu’il exhibe ses armoiries dans l’église Saint-Maurice. Or les Chinonais sont toujours très attachés à leur passé de ville royale et ils ont l’impression que, par ses prétentions, le duc veut s’octroyer les prérogatives des rois.
La Révolution veut régénérer la société en abolissant les anciens pouvoirs, à la fois le trône et l’autel. Le cinquième duc de Richelieu, Armand Emmanuel du Plessis de Richelieu (1766-1822), s’exile en Russie, où il est au service du tsar Alexandre Ier. La forteresse lui est confisquée et il perd ses droits sur la ville de Chinon. Les armoiries des ducs de Richelieu, qui rappellent l’Ancien Régime, sont supprimées.
La population accepte plutôt favorablement la Constitution de 1789, qui promet un avenir meilleur. La municipalité aspire à une réforme modérée, mise en place par les élites, mais elle doit composer avec la fièvre révolutionnaire et les luttes de faction…
A l’étroit dans une cité renfermée derrière ses remparts, les habitants assistent impuissants aux passages incessants des troupes, qui réquisitionnent tous les bâtiments disponibles ; Chinon, base arrière de l’armée républicaine, est devenue une immense caserne…
Les habitants finissent par se lasser de cette Révolution qui ne tient pas toutes ses promesses. L’avènement du Consulat en 1799, puis celui de l’Empire en 1804, sont fêtés avec enthousiasme. Avec la politique pragmatique de Napoléon, l’ordre et la tranquillité publique sont rétablis de manière stricte, les congrégations religieuses sont réhabilitées, les cultes et l’enseignement se réorganisent…
Le retour des Bourbons en la personne de Louis XVIII est à son tour favorablement accueilli par les élus, qui espèrent renouer avec la grandeur passée de la petite cité et se libérer de la tutelle des autorités en place. Au 19e siècle, Chinon veut renouer avec son prestigieux passé de ville royale, dont la mémoire a été anéantie durant la Révolution. Armand Emmanuel du Plessis de Richelieu, nommé ministre en 1815, accorde une somme d’argent conséquente à la ville, afin qu’elle puisse y établir des ateliers de charité. Les ducs de Richelieu, un temps détestés des Chinonais, sont désormais associés à son Age d’or…
Le cinquième duc a reçu officiellement le titre de comte de Chinon dès sa naissance, ce qui souligne l’importance des liens historiques entre les ducs de Richelieu et la petite cité…
Pour en savoir plus :
Marie-Pierre Terrien, Histoire de Chinon, Joué-les-Tours, 2018.