Un programme ambitieux
Au début du 17e siècle s’élevait dans le parc de Richelieu un château édifié par les ancêtres du Cardinal en un lieu appelé au Moyen Age dives locus, c’est à dire « riche lieu », qui donnera son nom à la famille du Plessis. Attaché à la maison familiale où il a passé une partie de son enfance, le cardinal de Richelieu décide vers 1625 de l’agrandir. En effet, en 1624 il est entré au service du Roi et il devient bientôt son principal ministre. Son ascension politique le pousse à un projet grandiose, capable de rivaliser avec les plus belles demeures de son époque.
Richelieu ne se contente pas d’agrandir le château familial. Lors de la journée des dupes, le 10 novembre 1630, Louis XIII renouvelle sa confiance à son ministre et élimine tous ses adversaires politiques. Au lendemain de cette journée décisive dans son parcours, Richelieu obtient du roi l’autorisation de faire construire un « bourg clos de fossés et de murailles », en remerciement de ses nombreux services. La ville est fondée ex nihilo, en bordure de la rivière du Mable. Les travaux avancent très vite. En 1638, les rues sont tracées, les halles, l’église et l’auditoire sont achevés. C’est un brillant architecte, Jacques Lemercier (vers 1585-1654) qui est chargé du projet du Cardinal. Il deviendra l’architecte officiel de Louis XIII. Son séjour à Rome, entre 1607 et 1614, finit de lui donner une solide formation. Il trace le plan de la ville, ses frères Pierre et Nicolas dirigent les travaux, tandis que le plan des maisons est dessiné par l’entrepreneur Jean Barbet.
Avec le château, la ville doit refléter la grandeur de la monarchie. Sa construction est favorisée par Louis XIII. En effet, le roi participe à son édification en payant douze maisons qu’il donne au Cardinal par lettres patentes du mois d’octobre 1631.
La Grande Rue de Richelieu, bordée d’hôtels particuliers
Hôtel particulier de la Grande Rue, 17e siècle (MP Terrien)
La ville (environ 610 sur 380 mètres) présente des particularités qui la distinguent des modèles urbains antérieurs ou contemporains. Elle s’organise autour de deux places symétriques, la place du Marché et la place des Religieuses, situées à égale distance de la rue Traversière. Au 17e siècle, elles étaient nommées Place Cardinale et Place Royale. Ainsi, les deux fondements du pouvoir politique de la France, représentés par Louis XIII et son ministre, ont été transposés dans le plan de la ville. Dans l’axe principal orienté nord-sud, la Grande Rue relie deux places carrées. Elle est bordée par vingt-huit hôtels tous identiques, réservés aux notables qui soutenaient la politique de Louis XIII et de Richelieu.
Une ville dotée de privilèges et de fonctions urbaines
Richelieu incite les habitants à venir s’installer dans sa ville nouvelle, par l’annonce de nombreux privilèges :
– des exemptions fiscales (la ville fut déclarée franche de taille et de gabelle),
– la création de deux marchés hebdomadaires et de quatre foires annuelles,
– un bien de première nécessité, l’eau. La ville est construite sur les bords du Mable. Par ailleurs, dès sa fondation, la ville est approvisionnée en eau potable grâce à la fontaine de Bisseuil, située à proximité du château.
En 1634, Richelieu fait transférer dans sa ville le grenier à sel de Loudun pour la perception de la gabelle, l’élection de Mirebeau pour la perception de la taille, ainsi que la justice, qui était auparavant sous la juridiction du siège royal de Saumur. La ville est dotée d’une Académie, établissement réservé aux jeunes nobles de la région. L’enseignement y est dispensé en français. Relais de l’Académie Française, fondée par Richelieu lui-même en 1635, elle avait pour but de développer la langue française. Louis XIII autorisa sa fondation par deux déclarations de 1640 et la charge de l’Académie fut confiée à Nicolas Le Gras.
L’ensemble ville-château était régi par les mêmes règles architecturales. Il formait aussi un système spatial indissociable : La cité fut construite près du Mable, qui alimentait les douves, et elle était approvisionnée en eau potable grâce à la source de Bisseuil, située à proximité du château. Un réseau hydraulique très perfectionné traversait le parc avant d’alimenter la ville..
A la mort de Richelieu en 1642, qui serait tenté en effet de venir habiter dans cette ville éloignée de la capitale, située au fin fond du Poitou, et privée de grands axes de communication ? Les notables veulent revendre les hôtels particuliers de la Grande Rue, mais ils valent très cher et ne trouvent pas d’acquéreurs. Lors d’un voyage qu’il entreprend en 1663, La Fontaine écrit à son épouse qu’« elle est désertée petit à petit ». Ce sont les familles de la région qui vont enfin racheter à la fin du 17e siècle ces hôtels laissés à l’abandon pendant plusieurs décennies et vendus alors à bas prix. Ils ne valent plus que deux mille livres, leur prix a été divisé par cinq…
Richelieu au 18e siècle
Au 18e siècle, placée sous la protection des ducs de Richelieu, la ville devient prospère. Son château est réputé dans toute l’Europe. Les nombreux étrangers qui viennent l’admirer s’attardent dans la cité et en favorisent l’activité économique. La cité du Cardinal conserve ses privilèges. Sa population augmente et se diversifie. En 1795 seront recensés 3194 habitants. Il y a un ensemble d’habitants aisés, composé du corps de la justice, des officiers de l’élection et de ceux du grenier à sel. On exerce aussi la chirurgie, qui participe à la santé publique, préoccupation des édiles. La ville a par ailleurs un collège, installé dans l’Ancienne Académie.
Les édifices publics sont entretenus régulièrement. La ville conserve son mur d’enceinte et voit son parcellaire se concentrer. L’augmentation du nombre d’habitants entraîne une modification du paysage urbain. Les hôtels particuliers de la Grande Rue sont transformés.
Au milieu du 18e siècle, on assiste à un regain d’intérêt pour le château de Richelieu, qui s’explique par les nombreux travaux et embellissements réalisés à l’initiative de Louis-François-Armand de Vignerot (1696-1788), troisième duc de Richelieu. Libertin, il a le goût des Arts et des Lettres et s’entoure comme son aïeul des plus grands maîtres de son temps : Jacques de la Guépière, Jean-Michel Chevotet et Claude Desgaut. Entre 1720 et 1740, le château du Cardinal connaît grâce à lui une véritable renaissance. Il est meublé et mis au goût du siècle des Lumières. Le troisième duc réduit la grande galerie pour y installer un magnifique salon, qui lui rappelle les magnificences des demeures parisiennes. Le parc est également transformé, le duc de Richelieu veut y transposer les magnificences de Versailles et de Marly. Des bosquets, un labyrinthe et des parterres d’eau embellissent les jardins de son aïeul.
Les embellissements réalisés au château de Richelieu au 18e siècle sont bien connus, grâce la correspondance entre le troisième duc de Richelieu, Louis-François Armand de Vignerot (1696-1788), son surintendant Jean Jahan (1677-1755), et l’abbé Jean-Baptiste de la Landelle (décédé en 1735), correspondance que nous avons analysée et en partie publiée (Le château de Richelieu, XVIIe-XVIIIe siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2009). Cette correspondance laisse un témoignage contemporain exceptionnel sur le duc de Richelieu, tant pour les affaires nationales et internationales, que pour l’histoire de sa propriété en Touraine à laquelle il était très attaché. Ces lettres nous informent, avec une grande précision chronologique, des transformations effectuées dans le château de Richelieu, ainsi que de l’aménagement des jardins et du parc, entre 1720 et 1740. Elle nous apprend de quels soins le duc de Richelieu a entouré ce château dont il a hérité. Ebloui par sa beauté, il le transforma pour le mettre au goût du jour. Contrairement au cardinal de Richelieu, qui n’est venu qu’une fois dans son magnifique palais, le maréchal y résida à plusieurs occasions, notamment à partir de 1734, année de son second mariage avec Elisabeth Sophie de Lorraine. Grâce à cette correspondance, il est désormais possible de considérer la transformation du château de Richelieu à l’époque des Lumières pour elle-même, en tant que reflet de l’expression artistique du XVIIIe siècle.
Le comte de Cély, nommé maréchal de camp en 1780, est un contemporain de Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis. En 1785, il fut reçu au château de Richelieu et nous a laissé un témoignage inédit, se composant d’une courte notice accompagnée de deux illustrations. Ces documents viennent compléter notre connaissance des transformations dont a bénéficié le château de Richelieu au XVIIIe siècle et ce témoignage souligne l’importance du château de Richelieu dans l’histoire du château français, en tant que reflet de l’expression artistique du XVIIIe siècle. Le modèle de référence était alors le château de Versailles et le duc a voulu des appartements semblables à ceux de son parrain, le Roi Soleil. Les jardins devaient eux aussi imiter les magnificences de la célèbre demeure royale. C’est ce qui a frappé notre visiteur (Marie-Pierre Terrien, « Le comte Eon de Cély, témoin des transformations réalisées dans le château de Richelieu au XVIIIe siècle », Bulletin de la Société d’Histoire de Chinon, 2015, p. 889-904).
Le château de Richelieu en 1785, vu de l’est, par Eon de Cély (© Louis d’Astorg)
De la destruction du château à nos jours
A la Révolution, une profonde césure survient dans le cours de l’histoire de Richelieu. La ville perd ses privilèges, désormais contraires aux nouveaux idéaux. Chef-lieu de canton, elle est simplement dotée d’une justice de paix, qui réside dans une partie des locaux de l’ancien auditoire, ainsi que d’une maison de sûreté. Cette cité conçue comme idéale est désormais confrontée à des conditions financières difficiles et à de nombreux problèmes, qui risquent de la rendre inhabitable. Elle n’a pas les moyens d’entretenir correctement ses édifices publics.
Autre source de problèmes : les eaux stagnent dans les douves et occasionnent ces flux d’air nauséabonds et malsains. En effet, les propriétaires de Richelieu y ont aménagé des jardins. Les petits murs de soutènement se sont écroulés dans les canaux et les fossés sont devenus un marais fangeux… Une partie des habitants de Richelieu, les plus fortunés, quittent la ville.
Sa parure monumentale a besoin d’être restaurée. L’ensemble ville-château, conçu comme un ensemble indissociable par son fondateur, est divisé : la municipalité assiste impuissante à la vente du château en 1805, puis à sa destruction par son acquéreur, Alexandre Bontron. Les collections du Cardinal de Richelieu sont dispersées. Le parc lui-même va être découpé, suite à de multiples transactions.
Lentement, la ville va pourtant se relever grâce à de nombreuses initiatives. Dans les années 1830, des élus entreprenants et audacieux n’hésitent pas à donner une véritable impulsion économique à la ville , ce qui entraîne d’importantes modifications du paysage urbain. A partir de 1875, le parc est reconstitué grâce à Michel Heine, banquier parisien, qui rachète les différentes parcelles pour son gendre, le septième duc de Richelieu.
Au début du 20e siècle, la cité du Cardinal devient un pôle commercial pour la région. Les foires et des marchés y sont en progression constante. L’installation du chemin de fer en 1884 contribue largement à son développement. Dans les années 1940, la ville compte plus de 180 boutiques. Toutefois, son patrimoine exceptionnel n’a pas la place qu’il mérite. La deuxième moitié du 20e siècle voit heureusement naître une réelle mobilisation pour réhabiliter ce chef d’œuvre d’urbanisme. En 1965, la municipalité obtient la création d’un secteur urbain sauvegardé. Il comprend la ville créée par le Cardinal, y compris le mur d’enceinte et les douves. L’ensemble de sa parure monumentale est classé Monument Historique.
La place du Marché réaménagée, ancienne Place Cardinale (cliché MP Terrien)
Aujourd’hui, sa mise en valeur passe par de grands projets structurants, qui veulent souligner ce qui fait la spécificité de la ville. Ainsi, en 1986, l’aménagement de l’actuelle place Louis XIII, où se tenait auparavant le marché aux veaux, et les travaux de réaménagement de la place du Marché, réalisés en 2006-2007, ont eu pour objectif de lui redonner son aspect d’origine et réhabiliter ce modèle d’urbanisme du 17e siècle.
© Marie-Pierre Terrien
Pour en savoir plus : Marie-Pierre Terrien, Richelieu, histoire d’une cité idéale (1631-2011), Presses Universitaires de Rennes, 2011 et Richelieu, Le cardinal-ministre, sa cité idéale, son héritage, Editions La Simarre, 2021.